image et son : des espaces de création
quand le son devient image
les formes qui construisent l’espace le son comme moteur de la démarche exploratoire
composer l’espace en formes et en sons
Le graphisme est une discipline visuelle qui consiste à créer des images, des typographies, des couleurs, et des compositions pour transmettre des messages ou des émotions. Il s’inscrit dans divers domaines, comme la publicité, l’édition, la signalétique, ou encore le numérique, et joue un rôle essentiel dans la communication visuelle.
Le graphisme et la musique partagent une capacité unique à susciter des émotions et à créer des univers distincts. Ils se rencontrent fréquemment dans la conception d’identités visuelles pour des albums, des festivals ou des artistes, où les formes et les couleurs deviennent les vecteurs de l’énergie ou de l’ambiance sonore. La musique peut ainsi inspirer des motifs graphiques ou des rythmes visuels, tandis que le graphisme enrichit l’expérience musicale, notamment à travers des affiches, des pochettes ou des installations immersives.
Le lien entre ces deux disciplines repose sur une interaction subtile, où l’une complète et amplifie l’autre. Le graphisme ne se limite pas à un simple décor, il joue un rôle clé dans la traduction, l’accompagnement et l’illustration de la musique. L’une des manières les plus directes de traduire la musique en visuel est à travers la partition, qui convertit des sons en symboles graphiques que les musiciens peuvent lire. Cette transcription transforme les éléments sonores en un langage visuel précis, en utilisant des signes comme les notes, les rythmes et les silences. Le graphisme devient ainsi un interprète de la musique, un médium de transmission.
Au-delà de cette transcription, le graphisme illustre également la musique à travers des supports comme les pochettes d’albums, les affiches de concerts ou les vidéoclips. Ces créations visuelles vont bien au-delà de la simple représentation; elles offrent une interprétation visuelle de l’œuvre musicale. Une couverture d’album, par exemple, peut utiliser des couleurs vives et des formes dynamiques pour évoquer une musique énergique et rythmée, ou des teintes plus subtiles et des formes géométriques pour une musique plus introspective et minimaliste.Ainsi, le graphisme se transforme en une extension du son, traduisant l’atmosphère d’un morceau ou d’un album dans un espace visuel. *
Par exemple, dans la pochette du Concerto pour piano en mi-bémol majeur de Beethoven (cf.01), le contraste entre un fond noir et un visuel arc-en-ciel incarne une dualité entre sobriété et éclat, reflétant la complexité émotionnelle et musicale de l’œuvre. Cette esthétique a inspiré la pochette emblématique de «The Dark Side of the Moon», conçue par Storm Thorgerson pour Pink Floyd (cf. 02). Le prisme lumineux sur un fond sombre y traduit avec précision les thématiques de l’album : lumière, réflexion, et subtilités de l’existence. De même, pour la réédition de «QALF Infinity» de Damso (cf. 03), le graphisme adopte une dynamique similaire. Le jeu entre un arrière-plan sombre et une lueur colorée centrale évoque la profondeur et l’intensité de la musique, tout en plongeant l’auditeur dans une atmosphère sensorielle. La lumière y devient une métaphore, traduisant visuellement l’énergie et la transcendance de l’écoute.
Ces exemples démontrent comment le graphisme, en mobilisant les principes de contraste, de composition et d’esthétique, enrichit la perception de la musique. Il donne corps aux émotions sonores et transcende l’expérience auditive en y ajoutant une dimension visuelle, renforçant ainsi la résonance émotionnelle des œuvres.
Le lexique partagé entre le graphisme et la musique est riche et éclaire la manière dont les deux disciplines s’imbriquent. Des termes comme composition, rythme, espace, silence, et harmonie sont utilisés tant en graphisme qu’en musique pour décrire des processus similaires. La composition dans les deux cas implique l’agencement des éléments – que ce soient des sons ou des formes – de manière à créer un équilibre, une cohérence et une dynamique. En musique, la composition arrange des notes et des accords, tandis qu’en graphisme, elle organise des images, des typographies et des couleurs.
Le rythme, autre terme fondamental dans les deux domaines, désigne à la fois la temporalité dans la musique et la structure visuelle dans le graphisme. Les répétitions, les accélérations et les pauses rythmiques d’un morceau peuvent être transposées par des motifs graphiques, des variations de taille, de couleur ou de forme. Le rythme visuel dans une affiche ou une mise en page guide le regard du spectateur de manière similaire à la façon dont une mélodie guide l’auditeur. De même, l’espace dans ces deux disciplines est crucial pour définir des zones de tension et de respiration. En musique, l’espace est créé par les silences et les pauses entre les notes, tandis qu’en graphisme, le blanc, l’intervalle entre les éléments, ou la densité des formes, est utilisé pour créer de l’équilibre et de la respiration visuelle.
La série d'affiches "Musica Viva" conçue par Josef Müller-Brockmann (cf. 04-09) est associée à des événements organisés dans la salle “Le Zurich Tonhalle” qui est une célèbre salle de concert en Suisse . Musica Viva est un projet ou une série de concerts mettant en avant la musique contemporaine, souvent innovante, et mettant en lumière des compositeurs modernes ou des interprétations originales de répertoires classiques.
Josef Müller-Brockmann, a créé des affiches minimalistes pour ces événements. Il utilisait des principes tels que la grille typographique, des formes géométriques simples et des jeux de couleurs pour traduire visuellement l'harmonie, la structure et l'émotion musicale.
Le silence, dans les deux domaines, a aussi une signification profonde. En musique, le silence est souvent aussi significatif que le son, apportant de la tension ou soulignant des moments clés d’une composition. En graphisme, le silence est incarné par le vide ou l’utilisation de l’espace négatif, qui permet de mettre en valeur les éléments visuels, d’accentuer des formes ou des couleurs, et d’apporter de la clarté à la composition. Enfin, le terme harmonie s’applique aussi bien aux sons qui se mélangent agréablement qu’aux éléments visuels qui s’assemblent de manière cohérente pour produire une œuvre équilibrée.
Peter Saville, connu pour son travail avec le groupe Joy Division et Factory Records, a souvent intégré des éléments de vide et de simplicité dans ses couvertures d’albums. Son design de la pochette de Unknown Pleasures joue sur l’harmonie et l’équilibre entre les éléments visuels minimalistes et l’impact sonore de la musique, mettant en lumière le concept de silence et de tension. (cf. 10)
Aussi la couverture de the Velvet Underground - The Velvet Underground & Nico (1967) conçue par Andy Warhol, présente une banane simple sur fond blanc, créant un contraste entre le vide et le minimalisme. Cela reflète le côté expérimental et souvent silencieux de l’album, où le silence fait partie intégrante de l’atmosphère sonore. (cf. 11)
Certains comparent le travail du graphiste à celui du compositeur. En effet, tout comme un compositeur crée une œuvre à partir de sons, le graphiste orchestre des éléments visuels — couleurs, typographies, images, formes — pour créer une expérience évocatrice. Dans les deux cas, il s’agit de manipuler et d’organiser des éléments qui, pris individuellement, pourraient ne pas avoir de sens, mais qui, une fois assemblés, forment un tout riche en significations. Ainsi, le graphisme devient un véritable langage pour accompagner et illustrer la musique, transformant ce qui est auditif en une expérience visuelle et sensorielle complète.
Ce mémoire s’inscrit dans cette quête d’interaction entre la musique et ses expressions visuelles. Il vise à explorer comment le son peut être traduit graphiquement, mais également comment il peut se matérialiser dans des espaces conçus pour favoriser l’écoute et l’immersion. Mon ambition est de dépasser l’expérience purement auditive de la musique, en l’enrichissant par des dimensions visuelles et spatiales qui permettent de la vivre de manière multisensorielle.
*La synesthésie, phénomène où les sens s’entremêlent, illustre la manière dont une perception, comme un son, peut être associée à une autre, comme une couleur ou une forme. En lien avec mes recherches, elle révèle comment la musique peut dépasser la simple écoute pour devenir une expérience multisensorielle, intégrant à la fois le son et le visuel. Cette interaction enrichit ma réflexion sur la création graphique et scénographique, en explorant comment traduire des sensations sonores en formes visuelles pour offrir une expérience immersive et signifiante aux usagers dans les espaces dédiés à la musique.
majeur” Beethoven
Concert poster, 1958
Concert poster, 1959
Concert poster, 1961
Concert poster, 1959
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